mardi, janvier 29, 2008

Sweeney Todd : une vie gâchée




Tragédie digne de Shakespeare, dont la sanglante pièce "Titus Andronicus" traite également de vengeance, Sweeney Todd reste plus proche du texte de Nabokov "Britva", dont elle semble s'inspirer. Publiée en 1926, cette très courte nouvelle raconte l'histoire d'un barbier qui reconnaît sous les traits de l'un de ses clients un ancien tortionnaire. Il se trouve face à un cas de conscience, sachant qu'un simple coup de rasoir suffirait à assouvir un sentiment de vengeance longuement nourri.

Pourtant, à la différence du personnage de la comédie musicale de Stephen Sondheim, le barbier de Nabokov décide que faire couler plus de sang ne changera rien et laisse échapper son ex-geolier sain et sauf, adoptant ainsi une posture morale digne.

Rien de tout cela chez Sondheim et Burton, dont le Sweeney Todd ne recule devant rien pour assouvir sa pulsion destructrice, qui va l'entraîner lui-même dans la mort. Ce thème de la vengeance a été introduit relativement récemment dans la longue chronologie qui a conduit cette histoire jusqu'à nous. Apparue au milieu du 19ème siècle dans un journal de fiction bon marché destiné aux classes laborieuses de l'Angleterre de la révolution industrielle, elle n'a cessé de se développer. C'est en 1973 que Christopher Bond signe une adaptation théâtrale contenant les grandes idées que Stephen Sondheim reprendra pour composer sa comédie musicale six ans plus tard.

Tim Burton et son scénariste, John Logan (dont la carrière éclectique l'a vu travailler sur Gladiator, Star Trek : Nemesis, Le Dernier Samourai ou encore l'excellent Aviator de Scorsese) ont dû affronter la tâche difficile de passer d'un spectacle de trois heures à un film de deux, tout en restant fidèle à cette histoire très connue du public anglo-saxon. Pour cela, ils se sont concentrés sur les trois personnages principaux (Sweeney, Mrs Lovett et Toby), ont écarté quelques chansons et en ont raccourci d'autres. Le résultat est à la hauteur des espérances comme on peut le constater en salles actuellement mais aussi sur disque : attention toutefois de se procurer l'édition américaine de la BO, la française éditée par Warner étant incomplète. Très bonne écoute !

jeudi, janvier 10, 2008

Des trésors bien cachés




S'il était encore nécessaire de prouver aux sceptiques l'immense intérêt de cette belle invention qu'est Internet, il suffirait de leur faire découvrir quelques-uns des sites les plus utiles de la toile : wikipedia, facebook, google et consorts... C'est pourtant l'arbre qui cache la forêt et ce ne serait pas rendre justice à l'extraordinaire richesse disponible en ligne. Car Internet ne se dévoile pas toujours facilement : c'est un territoire accidenté, complexe, dense comme une jungle dont chaque recoin ouvre vers d'autres jungles miniatures. On y trouve en général des pépites quand on ne les cherche pas et au moment où on s’y attend le moins. C’est de cette façon que je suis tombé un jour sur un site intriguant, appelé Rare Soundtracks Vault. Les fans de musique de film savent que la musique au cinéma revêt plusieurs visages, a plusieurs vies et passe bien souvent le plus clair de son temps oubliée dans des boites ou des coffres sous la forme de bandes ou de pellicules 35 mm plutôt mal entretenues. On peut identifier facilement trois versions différentes d’une musique de film : celle que l’on entend dans le film, celle que le compositeur a composée, et la version éditée en CD (et/ou maintenant en MP3). Il y a souvent de grandes différences entre ces versions : en effet, le passage au CD donne souvent au musicien la chance de faire connaître l’intégralité de son travail, alors que le film n’en gardait qu’une partie ou dans le cas d’un rejet, rien. L’exemple récent le plus frappant est la partition rejetée de Gabriel Yared pour le film Troy (2004), dont l’enregistrement était terminé mais mis au rebus, et remplacé par un autre concocté dans l’urgence. Impossible avant l’avènement d’Internet de se procurer ces bandes, à moins de payer à prix d’or des bootlegs à la qualité douteuse. C’est désormais à la portée de tous, en quelques clics bien sentis.

Il restait à s’occuper de toutes ces musiques de films oubliées, que la postérité s’est chargée d’effacer de la mémoire collective, et dont la commercialisation ne présente qu’un intérêt bien modeste. L’auteur de ce blog a relevé le défi et avec une belle maîtrise technique (qu’il partage d’ailleurs généreusement sur une des pages de son site) donne vie à des scores inédits, rares, et parfois improbables ! En extrayant la musique du DVD ou de la cassette VHS du programme en question, en effectuant un travail savant de nettoyage, d’effacement des voix / effets sonores et de montage, il parvient à donner vie à ces orchestrations que l’on pensait définitivement perdues. Et il y en a pour tous les goûts : du magnifique (John Barry, John Williams), du kitsch (les séries TV L’homme de l’Atlantide, Sankuokai), du bizarre (le jamais édité Zardoz), des curiosités (le Condorman de Henry Mancini). Un travail de passionné fait avec beaucoup de sérieux et qui a le mérite de donner une deuxième vie à ces œuvres éphémères que sont les musiques au cinéma. Les fans de John Barry seront particulièrement gâtés par une sélection de BO rares (The Black Hole (photo), Hanover Street, Svengali, The Deep, Touched By Love). L’auteur va jusqu’à donner deux versions de son travail, une contenant son montage et l’autre sans, afin d’apprécier le film sous toutes ses coutures.

C’est un plaisir subtil de savourer un film sans ses images : les souvenirs assaillent quand ils le peuvent, sinon l’imagination prend le relais. On sourit souvent tout seul, le casque sur les oreilles, et on se dit qu’un bon film peut tout autant s’écouter que se voir. Un grand merci donc à l’auteur mystérieux de ce blog et longue vie à cette aventure passionnante... Rendue possible par le net.

jeudi, janvier 03, 2008

I Am Legend : un mythe mis à mal




Parler de déception serait un euphémisme en ce qui concerne cette nouvelle adaptation du roman fondateur de Richard Matheson. Si le terme de dégoût peut sembler extrême, il est plus proche du ressenti à la sortie de la salle. Il est vrai que l'attente était forte, non pas tant pour le choix du réalisateur Francis Lawrence (son Constantine m'ayant échappé), mais dans le doute, on pouvait laisser une chance à ce jeune réalisateur venant de la pub et du vidéoclip. Non, ce qui faisait croire à ce projet, c'était tout d'abord le choix du titre, revenant à celui du roman d'origine, contrairement aux deux précédentes adaptations et laissant supposer une plus grande fidélité. Puis, le potentiel technologique du cinéma d'aujourd'hui sur lequel on pouvait raisonnablement compter pour faire mieux que The Last Man On Earth (1964) et The Omega Man (1971). Surtout, c'était le constat incroyablement juste et terrible que Matheson dressait d'une humanité décimée, réduite à l'état de morts-vivants, et qu'un simple citoyen appelé Robert Neville passe ses journées à éradiquer machinalement. L'homme est isolé, doit se défendre et lutter contre les attaques de son ancien meilleur ami devenu vampire, tout en cherchant à comprendre ce qui s'est passé. Si l'allégorie était pertinente en 1954, date de publication de I Am Legend, elle l'est tout autant en 2008, quand la race humaine se donne de plus en plus les moyens de s'autodétruire à petit feu. Adapter le roman aujourd'hui, c'était l'occasion de tendre un miroir à notre société contemporaine et lui rappeler que la race humaine n'est pas éternelle.

C'était aussi l'occasion rêvée de déconstruire le mythe du vampire, en cherchant des explications rationnelles à des phénomènes que la science moderne a le potentiel d'expliquer dans le cadre d'une oeuvre fantastique.

Si le film fait illusion dans sa première heure, surtout grâce à la description particulièrement détaillée d'un New York d'apocalypse, il perd complètement de sa consistance par la suite pour conclure sur un happy end improbable. Le choix de New York, alors que l'action se situait à l'origine dans la région de Los Angeles, laisse entrevoir l'impact des évènements de 2001, et le poids que ces images traumatisantes font toujours peser sur la psyché américaine. La scène d'évacuation sur le port suivie de la destruction du Brooklyn Bridge a coûté pour elle seule cinq million de dollars pour six nuits consécutives de tournage. Si elle n'apporte pas grand chose au développement de la narration, à part fournir d'alibi pour une scène de séparation filiale larmoyante (que l'on voit deux fois), preuve est faite que ces scènes de panique et de chaos fascinent toujours et que si la réalité a rattrapé la fiction en 2001, le cinéma hollywoodien trouve toujours de nouvelles façons de présenter ces images cathartiques.

Le roman ne se privait pas non plus d'exploiter la mémoire collective, en l'occurence celle de la Shoah, dans des scènes de destruction massive très dérangeantes. Or, ce sont tous les aspects gênants du livre (l'attraction sexuelle éprouvée par Neville pour les femmes vampires, son caractère résolument commun, ses phases dépressives le conduisant vers l'alcool et la folie, l'arbitraire du meurtre) qui ont été gommés pour laisser place à un héros, certes seul avec son chien, mais tout de même scientifique et soldat (et pourquoi pas saint ?!). Le choix d'un acteur afro-américain était bien vu, mais tous les efforts de Will Smith ne suffisent pas. Pour ne rien arranger, certaines rumeurs font état de changements de dernière minute imposés au réalisateur, dont on ne peut croire qu'il ait eu le final cut.

Une version longue en DVD viendra-t-elle changer notre appréciation ? Réponse dans quatre mois.

En attendant et quitte à privilégier une des adaptations cinématographiques, allez jeter un oeil sur la première, celle avec le grand Vincent Price, en noir et blanc : The Last Man On Earth. Si la copie présente quelques défauts et n'est pas sous-titré, le film est visible gratuitement. Les plus fortunés le trouveront en DVD, couplé avec un autre grand film sur l'apocalypse, Panic In Year Zero (1962).

The Last Man On Earth a le mérite de respecter l'esprit du livre, même s'il ne le suit pas à la lettre. Après tout, on peut se demander quel est l'intérêt d'adapter un roman si ce n'est pas pour en garder les grandes idées. C'est le cas de cette version américano-italienne, faite avec un budget réduit mais une passion visible à chaque plan. Car finalement, I Am Legend est un grand roman sur l'isolement et la solitude humaine. Et cela, rien de mieux pour l'éprouver qu'une lecture forcément solitaire, en tête à tête avec soi-même.