dimanche, juin 20, 2010

Robert Mulligan : un cinéaste avec du coeur



Il est parfois difficile de reconnaitre la patte d'un cinéaste. D'abord parce qu'ils ne sont pas tous des auteurs. Loin s'en faut. Ce serait plutôt même l'exception. Parfois, le style n'est pas suffisamment marqué (tout le monde n'est pas Bresson), parfois les thèmes abordés sont trop différents les uns des autres. Souvent, les films manquent d'intérêt et on ne prend même pas la peine de chercher un semblant de cohérence. Alors, que penser d'un cinéaste comme Robert Mulligan ? Son absence de style visuel le conduit au contraire à s'adapter à chaque genre et à le dynamiter de l'intérieur. Avec près de 20 films disséminés sur quarante ans de carrière, l'œuvre de Mulligan a abordé des genres très différents : western, fantastique, chronique sociale, comédie. Grâce à une rétrospective de la Cinémathèque Française, nous avons l'occasion de redécouvrir l'œuvre de ce cinéaste méconnu.

Si certains de ses films sont mondialement connus (Un été 42, Du silence et des ombres, L'Autre), d'autres sont tombés dans l'oubli. Les découvrir dans le désordre permet justement de dégager des points communs et de faire des constatations. Loin d'avoir la prétention de me substituer à Jean-Pierre Berthomé, l'éminent critique et historien du cinéma dont la conférence d'introduction au travail du cinéaste américain était tout à fait passionnante et éclairante, revenons brièvement sur un film de la dernière période. Si on a dit que Mulligan était attiré par le monde de l'enfance, par la mort, qu'il était un grand directeur d'acteur, ou qu'il avait le don pour s'entourer des meilleurs musiciens, la vision de Clara's Heart (Le secret de Clara, 1988) permet de mettre au jour une de ses grandes qualités : son humanisme.

Avant dernier film de Mulligan, Clara's Heart est une histoire de reconstruction. Une mère ayant perdu son bébé s'exile en Jamaïque et rencontre une femme de chambre qui la tire de sa dépression. L'entente est si forte que la mère la ramène à la maison pour s'occuper de son ado, qui la rejette au premier abord. Une belle amitié va se lier progressivement entre ces deux êtres en souffrance, fortifiée par l'environnement parental en pleine explosion. Mais la femme de chambre porte en elle un lourd secret et tente de se reconstruire également.

Seulement quelques années après son rôle marquant dans La Couleur pourpre, Whoopi Goldberg donne au personnage de la femme de chambre une intensité toute de retenue et de nuances, tandis que le jeune homme est joué avec brio par Neil Patrick Harris, dont c'est le premier rôle. Toujours sur le fil du rasoir, évitant de tomber dans le mélo ou la sensiblerie, Mulligan aborde ici un sujet rarement évoqué au cinéma, une amitié improbable et salvatrice, de celles qui façonnent des vies et permettent de surmonter l'horreur. Conteur des subtilités du cœur de l'homme et de la femme, Mulligan aime ses personnages et cela se voit. Il n'a pas besoin d'avoir recours à des artifices de mise en scène. Sa façon de les montrer simplement et d'une façon juste, sans aucune distanciation, les rend d'autant plus bouleversants. Au risque de froisser certains spectateurs, trop habitués au cynisme dominant et triomphant de notre époque.