vendredi, octobre 25, 2013

Gravity : dans l'espace, personne ne vous entend crier


(Avertissement : à lire de préférence après avoir vu le film)

Là où 2001, l'Odyssée de l'espace (1968) était une expérience physique et métaphysique, un trip, peut-être LE trip ultime, Gravity se place d'emblée sur une tout autre échelle. Ambitieux sur la forme, le film d'Alfonso Cuarón reste humble sur le fond en comparaison du chef-d'œuvre de Kubrick. Il se concentre sur la figure d'une femme brisée, qui n'a eu d'autre choix que de se lancer corps et âme dans son travail pour étouffer la douleur de la perte de son enfant. D'apparence modeste, l'enjeu n'en est pas moins existentiel : les incidents que rencontre le Docteur Ryan Stone lors de sa mission dans l'espace la poussent à se demander si elle a vraiment envie de continuer à se battre pour vivre. Le sort s'acharnant sur elle, découragée, désespérée, elle choisit de tourner le dos à la vie. "Personne ne m'attend sur Terre, personne ne me pleurera", se dit-elle. Avant de changer d'avis par le truchement habile de la narration.
Ecrit par Cuarón avec son fils, enfin sur nos écrans après une gestation de quatre ans et demi, Gravity emprunte le chemin exactement inverse des films à grand spectacle actuels qui poussent, à grandes pelletées de dollars et moult images de synthèse, le bouchon toujours plus loin vers des prouesses super-héroïques plus invraisemblables et ineptes les unes que les autres. Avec un Star Trek et un Superman de triste mémoire (entre autres), la couvée été 2013 aura montré les limites d'un cinéma dont l'essence même se tarit au fur et à mesure que la technologie permet tout et n'importe quoi. Rien de tel dans Gravity, qui invente et utilise une technologie complexe au service de la narration, et dont le but premier est d'immerger le spectateur dans l'espace.
Passons rapidement sur le procédé Dolby Atmos du Pathé Wepler (Paris, 18e) (photo-ci-dessus), dont les enceintes supplémentaires n'ont pas permis d'apprécier les subtilités et la puissance du mixage sonore tant le volume était trop élevé dans la salle. Visuellement, le film est simplement époustouflant. Le directeur de la photo attitré du réalisateur mexicain (et aussi de Terrence Malick) Emmanuel Lubezki a fait un travail incroyable, sachant la difficulté de simuler la lumière dans l'espace, perpétuellement changeante.
Le parti pris de réalisme s'applique à chacun des éléments du film :
- le scénario : il s'appuie sur un phénomène bien réel, le "syndrome de Kessler", qui désigne le fait que les satellites hors d'usage et les déchets laissés par d'anciennes missions spatiales ont engendré une quantité importante de débris risquant de provoquer un accident catastrophique. C'est le point de départ du film.
- la réalisation : si Kubrick imaginait en 1968 un monde futur dans lequel les voyages spatiaux seraient monnaie courante en le rendant plausible, Cuarón dépeint une réalité actuelle et nous la donne à voir et surtout à ressentir pour la première fois. Jamais depuis Avatar (2009) la 3D n'avait été autant au service de la narration en nous plongeant littéralement dans l'espace aux côtés de ces deux astronautes en prise avec le manque de gravité qui donne son titre au film.


Autre marque de fabrique du réalisateur, le plan-séquence accentue ici l'effet d'immersion, comme si nous étions piégés dans ces scaphandres, simples marionnettes dans l'espace, où chaque geste a des conséquences potentiellement mortelles.
- le jeu des acteurs enfin : vecteurs d'identification qui nous font ressentir le vertige du vide et la solitude de l'astronaute, et de l'homme en général.

Si Cuarón évoque Robert Bresson et son Condamné à mort s'est échappé (1956) pour parler de la fin de son film, il cite aussi la théorie de l'évolution de Darwin pour décrire la sortie de l'eau du personnage féminin, s'extrayant avec peine du liquide amniotique pour retrouver la terre ferme. L'image du Docteur Ryan Stone réussissant tant bien que mal à se lever sur le sable d'une plage après un voyage qui l'aura vue lutter contre la mort pour tomber littéralement du ciel n'est pas prête de s'effacer de nos mémoires.
Ceux qui prendront Gravity au premier degré risqueront de passer à côté d'un grand film, dont le propos est riche en métaphores et symboles. Dans la lignée des magnifiques Y tu mamá también (2001), Harry Potter and the Prisoner of Azkaban (2004), le meilleur Harry Potter, et Children of Men (2006), le nouveau film d'Alfonso Cuarón nous rappelle judicieusement l'une des qualités maîtresses du cinéma : faire vivre au public une expérience hors du commun, qui nous échappe dans la vie réelle. Et cela par le simple biais de l'image et du son. Mission accomplie.

NB : à la deuxième vision et suite à une discussion animée avec un ami, Gravity ne perd pas de sa superbe, mais révèle un peu plus quelques faiblesses qui ne manqueront pas de lui faire perdre quelques places dans mon classement annuel (mais ne l'empêcheront pas de faire le plein dans les salles, ouf !) :
- la parti pris de "réalisme" n'a certainement pas été poussé à bout, tant les erreurs factuelles sont légion, et tant l'utilisation appuyée de la musique n'a finalement que pour utilité de combler le fameux silence de l'espace,
- le personnage de George Clooney n'est absolument pas développé,
- les spectateurs ne sont pas dupes, la fameuse "suspension consentie de l'incrédulité" est trop largement dépassée par le cinéaste quand il multiplie inconsidérément les obstacles à la survie de son héroïne.
Gravity reste une expérience visuelle et sensorielle sans précédent, c'est peut-être son unique qualité, mais c'est déjà pas mal.
Bref, si un film n'a pas forcément besoin d'être véridique, on regrette la "caution scientifique" à laquelle le cinéaste et d'autres se raccrochent pour vanter les qualités du film. Le débat est ouvert. N'hésitez pas à réagir !!