dimanche, juin 15, 2014

2001 : difficile odyssée à la Cinémathèque



Nul doute que Stanley Kubrick aurait eu quelques sueurs froides s'il avait assisté à la projection de son film 2001, A Space Odyssey, samedi soir à la Cinémathèque Française. Le chef d'oeuvre de la science-fiction, sorti en 1968, était projeté dans le cadre d'un hommage au (presque) défunt format 70 mm, le plus prestigieux de tous les formats analogiques, qui connut son heure de gloire dans les années 50/60.

Malgré la beauté des images du film - la modernité des effets spéciaux de 2001 n'a toujours pas été surpassée (dixit l'enthousiaste Nicolas Saada qui faisait partie des spectateurs) - et la joie d'assister à une projection dans un format devenu rare sur nos écrans, force est de constater que le plaisir a été un peu gâché. Tout d'abord, l'état de la copie trahissait son âge et si l'image était plutôt correcte, un problème de son ajouta un effet de "battement de coeur" à un petit tiers du film. Mais le plus gênant concernait les conditions de projection et force est de constater que les projectionnistes de la Cinémathèque n'ont pas été à la hauteur de leur excellente réputation : le son était trop fort (on se serait cru chez UGC, c'est dire), et deux décadrages (suite à des passages de sections de pellicule) ont affecté l'image et gâché la séquence de l'arrivée sur Jupiter après le fameux passage dans la Porte des Etoiles.

D'aucuns diront que ce sont des pinaillages, pourtant la comparaison avec d'autres projections du film, notamment en 2001 au (pour l'instant toujours fermé) Gaumont Grand Ecran Italie, sont en défaveur de celle d'hier soir. On pourrait aussi argumenter que ces problèmes liés à la projection d'un film à un format par essence fragile font partie de l'expérience analogique. Il est vrai que nos yeux dorénavant habitués à la "perfection" des projections numériques s'accoutument mal des imperfections du 70 mm, même quand celui-ci créé comme nous l'avons vu hier soir d'incroyables effets involontaires (tâches, rayures, sons additionnels, manque de netteté). L'impression générale était d'assister à un spectacle vivant, la projection en 70 mm accentuant la chaleur, le côté pulsatif du cinéma (en opposition avec la froideur numérique du 2K ou du 4K, bientôt du 8K).

Film fondateur de la science-fiction moderne, objet de vénération ou de détestation, bloc de mystère (à l'image du fameux monolithe), 2001, A Space Odyssey garde quarante-six ans après sa sortie toute sa force et son irréductible poésie. Quel film dans l'histoire du cinéma a suscité plus d'exégèses, de livres, de projets éditoriaux, d'interrogations, de curiosité ? On prolongera à profit la vision de 2001 par la lecture du roman d'Arthur C. Clarke, écrit en même temps que le tournage du film, et publié quelques mois après sa sortie. De nombreuses différences apparaissent entre les deux oeuvres et prolongent la sensation d'une oeuvre unique et protéiforme conçue à quatre mains par deux génies (le mot n'est pas trop fort). Ceux en quête d'une explication pourront y trouver des détails que le film omet, même si le roman garde également sa part de mystère, notamment dans son dernier chapitre. Les suites écrites plus tard par Clarke prolongent le plaisir et la réflexion sur la rencontre avec une civilisation extra-terrestre et le film de Peter Hyams, 2010 (1984), suscite de nouvelles interrogations et reste honnête même s'il n'atteint évidemment pas les cimes du film de Kubrick.

Pour conclure, disons que si l'enthousiasme des deux auteurs concernant le futur de l'exploration spatiale les a menés à inventer des mondes qui sont très loin d'être devenus des réalités (notamment en ce qui concerne une hypothétique base spatiale sur la Lune), leur vision d'une époque où les voyages spatiaux deviendraient possible n'est plus très loin de se réaliser. Après l'Agence spatiale fédérale russe, la société Virgin Galactic de Richard Branson s'apprête à envoyer de richissimes humains dans l'espace pour des vols de 3 à 4 minutes en apesanteur, à une altitude de 100 kilomètres. Merci qui ?

Notons également la sortie prochaine chez Taschen d'un livre monumental (et donc dispendieux) sur le film non moins monumental de Kubrick/Clarke. La folle aventure de 2001, A Space Odyssey n'a pas fini d'intriguer.


jeudi, février 06, 2014

Ennio Morricone triomphe à Paris



De retour chez nous après plus de sept années d'absence (son dernier concert en France remonte à octobre 2006 à Auxerre), le maestro italien de la musique de film Ennio Morricone se produisait à Paris Bercy mardi 04 février 2014 pour une soirée unique. Complet, le concert était certainement une des dernières occasions de voir le musicien et chef d'orchestre en action, ce qui n'a pas manqué d'attirer les foules (la salle a une capacité d'accueil de 17.000 personnes).
Si l'enceinte de Bercy est plus à même d'accueillir des événements sportifs ou des groupes de métal, de rock ou de variété, la présence d'un orchestre symphonique (en l'occurrence le Budapest Modern Art Orchestra) et d'un choeur lyrique (le Choeur Kodaly) dans l'enceinte énorme de ce qui ressemble plus à un stade couvert qu'à une salle de concert classique n'avait pourtant rien d'incongru. Sans rentrer dans des considérations trop poussées en termes d'acoustique, il faut avouer que le son amplifié des instruments à cordes et des cuivres était correct et que la palette sonore des oeuvres morriconiennes était respectée. L'orchestre était d'un bon niveau, mis à mal par moment par la comparaison des morceaux joués avec les originaux. En guise de hors-d'oeuvre, un documentaire consacré au maestro était projeté dans lequel il était interviewé et revenait en détails sur sa méthode de composition et sur sa carrière (ainsi que sur son fils). D'une durée beaucoup trop longue, la projection de ce film n'a pas manqué d'exaspérer le public, qui a marqué son impatience en sifflant.


Enfin, Ennio Morricone est monté sur scène et une salve énorme d'applaudissements l'accueillait. Sans plus de manières (il n'adressera la parole au public à aucun moment), il a ouvert ses grandes partitions et a entamé le concert avec ce qui était annoncé sur les panneaux latéraux comme le thème des Intouchables (1968) mais qui était le thème principal des Incorruptibles (The Untouchables, 1987). On pardonnera ces erreurs de crédits qui se répéteront tout au long de la soirée, et qui étaient reprises dans le programme. L'entrée en matière est majestueuse et donne le ton d'un concert qui va faire la part belle au Morricone lyrique et ample (le côté le plus spectaculaire de son oeuvre), mais qui donnera aussi un aperçu de son côté plus dissonant et expérimental.
Sans s'interrompre, l'orchestre enchaînait avec le magnifique "Thème de Deborah", extrait d'Il était une fois en Amérique (1984). La Légende du pianiste sur l'océan (1998) clôturait en beauté la première séquence du concert.
La suivante s'ouvrait sur l'ostinato au piano d'un obscur film italien de 1969 (H2S). Le morceau suivant a fait glousser de plaisir la foule (Le Clan des siciliens, 1969) avec ses deux thèmes enchaînés l'un à l'autre en une sorte de miracle mélodique toujours étonnant. Encore un thème ample et lyrique avec Love Circle (1969), puis une incursion d'autres instruments (batterie et clavier électronique) pour le thème d'un autre film tiré des oubliettes Maddalena (1971).


Après ces morceaux peu connus dans nos contrées, mais qui soutenaient pourtant très bien la comparaison avec les "grandes oeuvres", la pièce de résistance arrivait, au grand plaisir du public. L'hommage à Sergio Leone constituait sans nul doute la raison de la venue d'une majorité des fans français présents ce soir-là. Intitulée pompeusement "Mythe et modernité dans le cinéma de Sergio Leone", la séquence a vu l'entrée sur scène de la soprano Susanna Rigacci dont la voix et le souffle n'ont pas fait oublier la grande Edda del'Orso, mais ont fait illusion le temps d'égrener les classiques extraits du Bon, la brute et le truand (1966), à Il était une fois la révolution (1971) et Il était une fois dans l'ouest (1968). Après avoir atteint un premier pic dans l'applaudimètre, le compositeur toujours aussi peu chaleureux s'est éclipsé rapidement pour un entracte de vingt minutes.

En grande partie conforme à sa tournée de 2006, et aux autres nombreuses tournées du compositeur (qui doit être le musicien de musique de film qui joue le plus dans le monde entier), la set-list a donné un aperçu certes très superficiel de son oeuvre pléthorique (plus de 500 crédits sur IMDB). Les extraits étaient pourtant choisis avec goût et dénotaient l'exigence de l'homme, toujours soucieux d'allier popularité et engagement artistique, de faire coincider le plaisir, l'émotion avec le goût de la recherche sonore.

Le fameux thème "Chi Mai", extrait du Professionnel (1981) ouvrait avec ses violons lancinants la seconde partie, juste avant un extrait du mélancolique Cinéma Paradiso (1988). Les deux dernières séquences, Cinéma Social et Cinéma Lyrique Tragico Epique, ont mis également l'accent sur des oeuvres méconnues et des grands classiques. On notera dans la première la très belle partition du film de Brian De Palma, Casualties of War (1989), consacré à la guerre du Vietnam. Ainsi qu'une version endiablée du thème "Abolisson" du film complètement oublié de Gillo Pontecorvo Queimada (1969), qui a permis au choeur de montrer toute l'étendue de son talent.

Enfin, avec des extraits du Désert des Tartares (1976), et de Mission (1986), dont le thème grandiose a constitué l'apothéose de la soirée, Morricone a fait trembler le public, dont les acclamations enfiévrées et la standing-ovation ont fait revenir le maître pour trois reprises, dont une version de la mythique chanson "Here's to you", interprétée à l'origine en 1971 par Joan Baez dans le film Sacco et Vanzetti.

A bientôt 86 ans, Ennio Morricone continue de tourner dans le monde entier (il sera aux Etats-Unis en mars pour deux concerts exceptionnels, un à New York, l'autre à Los Angeles). Et continue de composer, plus pour le petit que pour le grand écran ces dernières années. Selon la presse, il aurait récemment cédé aux pressions de son épouse et composé une messe. Nul doute que ce génial compositeur, et grand travailleur devant l'Eternel, n'est pas prêt à rendre son tablier.

PS : ceux qui ont raté le passage du maestro à Paris peuvent se rattraper (un peu) en visionnant sur YouTube les nombreux extraits filmés avidement par les fans.