jeudi, décembre 07, 2017

The Creation of the humanoids : l'ancêtre de Blade Runner

Et si Blade Runner avec piqué ses idées dans un vieux film de science-fiction des années 60 ?

Six ans avant la parution dans son pays d'origine du roman de Philip K. Dick Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, une petite série B fauchée bénéficiait d'une sortie confidentielle dans les drive-ins et les salles de cinéma spécialisées dans les films d'exploitation. The Creation of the Humanoids (1962), réalisé par un enfant-star devenu réalisateur, Wesley Barry, et écrit par le scénariste Jay Simms (auteur du plus connu sous nos contrées Panique année zéro sorti la même année, avec Ray Milland) est resté inédit en France. Pur produit de son époque, The Creation of the Humanoids s'ouvre sur des images d'explosions nucléaires et montre comment les rares humains survivants de la Troisième guerre mondiale ont construit des robots pour leur permettre de maintenir un haut niveau de vie. Afin de rendre cette vie plus agréable, ils choisissent de donner à ces machines une apparence quasi humaine (peau grise, pas de cheveux et yeux métalliques) et de les doter d'un esprit de déduction logique.

Une organisation pro-humaine, "l'ordre de la chair et du sang", pense que les humanoïdes sont une menace pour la race humaine et qu'ils ont l'intention de les supplanter. L'ordre n'hésite pas à recourir à des actions violentes pour mener à bien leur combat. Lors d'une de leurs réunions, ils apprennent qu'un humanoïde impossible à distinguer d'un humain a, pour la première fois, tué un humain. Ils réclament que tous les humanoïdes soient désactivés et que les robots retrouvent une apparence de machine.

De son côté, le docteur Raven a mis en place une méthode permettant de transplanter la mémoire et la personnalité d'une personne décédée dans le corps artificiel d'un androïde. Les êtres hybrides ainsi créés ne sont pas conscients de leur statut de machine. Petit à petit, le Dr Raven remplace les humains décédés par ces machines.

Cragis, un des leaders de l'ordre de la chair et du sang, rencontre Maxine, une amie de sa soeur, et malgré le fait qu'elle soit opposée à l'ordre, ils tombent amoureux. A la fin du film, ils se rendent compte qu'ils sont eux-mêmes des humanoïdes hybrides créés à partir de leur ancien corps humain (décédé il y a peu, j'espère que vous suivez !).

On leur apprend alors que grâce à une évolution technologique imminente, ils vont pouvoir être les premiers hybrides capables d'enfanter et donc qu'ils vont accéder à une statut de dieu et déesse.

Voilà pour le scénario hallucinant de ce film qui a du mal à briller par d'autres aspects. 

De nos jours, les films de genre bénéficient souvent de moyens disproportionnés par rapport à la qualité de leur scénario. Le moindre blockbuster américain se voit doté d'un générique à rallonge, et bénéficie du talent de centaines d'artistes accomplis embauchés pour donner vie à la vision du réalisateur.

L'intérêt de The Creation of the Humanoids est qu'il représente l'exact inverse d'un blockbuster américain (ou autre) : un scénario fascinant mais une réalisation sans idées, des décors en carton-pâte, un manque de rythme, des acteurs au jeu approximatif et/ou figé, des costumes rudimentaires...

Le film, aujourd'hui visible en ligne, fait bien évidemment penser à Blade Runner, le chef-d'oeuvre de Ridley Scott, davantage qu'au roman de Dick. Les points communs sont nombreux : un homme se rend compte qu'il est un créature artificielle, les humanoïdes (appelés Réplicants chez Scott) sont mal considérés par les humains (ce que l'on peut constater aussi dans BR 2049 quand K rentre chez lui). Jusqu'à l'idée troublante que deux êtres artificiels puissent procréer (une idée largement exploitée dans la suite récente), ce qui pourrait à terme menacer la survie de la race humaine.

Alors, Philip K. Dick et Ridley Scott (et ses scénaristes Hampton Fancher et David Webb Peoples) auraient-ils allègrement pompé les brillantes idées de cette petite série B astucieuse et intrigante ? Pas forcément. Le questionnement sur l'essence de l'homme, sa tendance à l'auto-destruction et son salut grâce aux machines sont des thèmes largement abordés par la science-fiction depuis son origine et il n'est pas étonnant que des oeuvres voient leurs sujets se chevaucher. Il reste tout de même troublant de constater à quel point The Creation of the Humanoids, avec ses moyens dérisoires et ses comédiens médiocres, annonce avec une telle prescience non seulement les oeuvres citées à venir mais plus fondamentalement une interrogation existentielle qui pourrait bien hanter le 21e siècle.

lundi, octobre 23, 2017

Blade Runner 2049 : tentative de critique rationnelle


Apprécier un bon film n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît. Encore faut-il s'entendre sur l'objet du délit : qu'est-ce exactement qu'un "bon film" ? Sans s'engager dans une définition de ce qui fonde la valeur intrinsèque d'une œuvre d'art, disons simplement que pour être en mesure d'élever tel tableau, tel morceau de musique, tel film au rang "d'œuvre d'art digne d'intérêt", il faut qu'un consensus se dégage, que suffisamment de gens dans le monde estiment comme vous et moi que c'est le cas, oui ce film est un chef-d’œuvre. À partir de combien de personnes ? L'inclusion dans Wikipedia ou dans les dictionnaires est-elle une valeur sûre ? L'avis de votre neveu de 8 ans compte-t-il ? Ou est-ce plutôt l'empreinte laissée dans la mémoire collective qui joue (là aussi, celle-ci demeure relativement subjective). Pour aider le commun des mortels à y voir plus clair, les magazines anglo-saxons et des institutions comme le BFI s'amusent à établir et à mettre à jour régulièrement de multiples listes des meilleurs films de tous les temps (dont celle-ci ou celle-là).

Certes, cela permet de se faire une idée quand on prend en perspective toute l'histoire d'un art, le septième en l'occurrence. Mais que faire quand un film vient de sortir ? Faut-il se fier aux personnes payées pour aller voir des films et donner leur avis dans les médias ? Faut-il risquer de perdre ses 12€ ou d'être dégoûté de s'être engagé mensuellement ? On s'aperçoit en scrutant l'histoire du cinéma que le passage du temps est un facteur indispensable pour jauger de l'impact et de la qualité intrinsèque d'une œuvre cinématographique (c'est bien entendu le cas dans tous les arts). Nombreux ont été les grands films à avoir été vilipendés à leur sortie. Dans ce domaine, Stanley Kubrick est un bon exemple, chaque nouvel opus se voyant jeté aux orties à sa sortie avant que la patine du temps ne fasse son travail de réévaluation. On pourrait aussi parler de réalisateurs à la mode à une époque dont on a fini par oublier le prénom (je ne citerai personne) ou d'autres carrément tombés dans les oubliettes de l'art numéro 7 (pas 007, lui ça va !)

En dehors du recul du temps (qui permet de mieux apprécier une œuvre dans certains cas, mais aussi de constater avec le recul des défauts rédhibitoires dans d'autres), qu'est-ce qui fait qu'on peut décréter qu'un film est bon ? Quels sont les critères (objectifs, subjectifs) à retenir ? Au risque de voir sa perception faussée, faut-il lire les critiques avant de voir un film ou au moins se baser sur les fameuses étoiles décernées pour choisir nos prochains spectacles ?

L'auteur de ces lignes se trouve assailli par toutes ces questions à l'occasion de la sortie de Blade Runner 2049, le nouveau film de Denis Villeneuve. On peut prendre ce film comme un cas d'école. En effet, le projet cumulait dès le départ tous les handicaps possibles :

- venir après Blade Runner (l'original date de 1982), un film ayant mis plusieurs années pour accéder au statut envié de "chef-d’œuvre" (plongez-vous dans les critiques de l'époque, c'est plutôt amusant tant le décalage est flagrant, par exemple ici),

- renouveler le genre du film d'anticipation (c'est ce qu'avait fait le premier film en se basant sur le roman de Philip K. Dick, à tel point qu'il avait généré un mouvement, le cyberpunk), c'est donc ce qu'on peut raisonnablement attendre du nouvel opus,

- déjouer les attentes pour tuer dans l'oeuf le syndrome du "c'était mieux avant",

- déjouer les attentes pour contourner la défiance du public vis-à-vis des innombrables suites dont Hollywood fait son sel depuis longtemps (mais d'une façon beaucoup plus visible ces dernières années pour cause de raréfaction de projets originaux),

- marquer les esprits en montrant notre futur tel qu'il pourrait être.

Cette liste pourrait s'allonger tant les défis imposés au réalisateur canadien étaient nombreux. En prenant cette approche rationnelle, on peut tenter de jauger de la qualité du film par le menu, point par point. Et la tentation de répondre par la positive dans chaque cas est grande.

Ce qui frappe tout d'abord, c'est l'excellence visuelle et sonore du film, tout à fait dans la lignée de l'opus de Ridley Scott, ainsi que la volonté de limiter au maximum les effets numériques pour privilégier l'aspect réel et tangible du futur dépeint. Un futur d'ailleurs tout à fait crédible, tant les ravages infligés à la planète par l'homme, tels que nous les constatons chaque jour, semblent tirer l'humanité tout droit vers un avenir fait de grisaille, de poussière, un monde dont la nature a été bannie, et où les animaux ont disparu (notons que ce thème de la destruction de la Terre était déjà présent dans le roman de Philip K. Dick, sorti lui en 1968, mais causée par une guerre nucléaire). Un monde dans lequel le virtuel a pris une place prépondérante, la petite amie numérique de K, joué par Ryan Gosling, nouant avec lui une relation d'empathie saisissante.

Dans le Blade Runner original, le test Voight-Kampff permettait de dissocier les humains des Réplicants en testant leurs réactions à l'énoncé de certaines phrases. Dorénavant, une nouvelle génération d'androïdes a fait son apparition, plus faciles à identifier et à contrôler (en apparence).

La question "qu'est-ce que c'est qu'être humain" se pose à chaque instant dans Blade Runner 2049. C'est donc un film à grand spectacle "qui pense", un blockbuster cérébral, rare en scènes d'action, tout à fait dans la lignée de son modèle.

Autre effet troublant, il est curieux de constater que les critiques qu'on adresse au nouveau film sont du même ordre que celles auquel avait droit celui de Ridley Scott il y a trente-cinq ans : un manque d'émotion, un univers froid et antipathique, un scénario limité et sans profondeur, "un bel écrin mais un peu vide", dixit Jean-Pierre Lavoignat.

Là encore, un examen minutieux permet de faire le constat inverse. L'émotion n'est pas absente de Blade Runner 2049. Elle est cachée. Ce ne sont pas des torrents de larmes (on peut toutefois assister lors d'une scène magnifique à de majestueuses chutes d'eau), mais de subtils mouvements intérieurs. Sans trop en dire, le sacrifice d'un des personnages pour un autre est tout à fait troublant, et le jeu minéral de Ryan Gosling ne manque pas de se fissurer à plusieurs reprises, ce qui donne l'occasion d'apprécier l'intensité dramatique dont il est capable.

Au jeu de la critique rationnelle, sur chaque point, le film de Denis Villeneuve sort grand gagnant. Sa vision du futur est originale, le scénario reprend et relance brillamment l'action plusieurs décennies après les faits du premier film, l'esprit du roman et du premier opus est préservé, et retrouver Harrison Ford et Sean Young ne fait qu'accentuer l'impression de retrouvailles trop longuement différées.

Seule ombre au tableau : le casting. Dans le premier film, Ridley Scott avait eu la bonne idée de choisir (en dehors de l'interprète d'Indiana Jones et Han Solo) des acteurs relativement inconnus, ce qui permettait de s'identifier fortement aux personnages. Denis Villeneuve n'a pas entièrement choisi cette voie puisque le rôle du lieutenant Joshi aurait gagné à être joué par un ou un(e) nouveau(elle) venu(e), le jeu de Robin Wright peinant à effacer ses rôles récents. Quant au rôle de Neander Wallace, le fabricant de Réplicants, le réalisateur canadien rêvait de le donner à David Bowie, mais son décès début 2016 l'en a empêché. Et c'est bien dommage car Jared Leto souffre dans ce rôle d'un manque de charisme patent.

Malgré ces quelques critiques accessoires, parions que Blade Runner 2049 fera date dans l'esprit des spectateurs du monde entier et aura permis aux jeunes générations de découvrir le roman et le premier film. Espérons toutefois que le futur qu'il nous propose restera une pure vision de l'esprit.


mercredi, juillet 19, 2017

Okja de Netflix : le cauchemar des exploitants devenu réalité


Chaque année, le Festival de Cannes sert de révélateur de l'état du cinéma mondial. La manifestation cannoise a le grand mérite de réunir tous ceux qui constituent la planète cinéma : les professionnels, les médias du monde entier, les inconditionnels (dits aussi cinéphiles), et en arrière-plan le grand public (non invité mais autorisé à suivre la montée des marches au JT d'un oeil distrait).

Si les années se suivent et ne se ressemblent pas forcément, ce sont les éditions qui déclenchent un scandale qui marquent le plus les esprits. Tout le monde se souvient de la présentation à Cannes de l'Avventura en 1960 (Michelangelo Antonioni), de La Grande bouffe (Marco Ferreri, 1973), ou plus près de nous de Crash (David Cronenberg, 1996) ou Antichrist (Lars Von Trier, 2009).

En 2017, la Festival de Cannes aura réussi à renouer avec cette tradition, qui pour le coup a plutôt pris la forme d'une polémique. "Rien de tel pour attirer le chaland et faire de la publicité gratuite", pourrait-on dire, à la différence près que cette fois-ci les distributeurs de films et les exploitants de salles de cinéma se seraient bien passés de la frayeur qui leur a été causée.

A l'origine de tous ces tourments, deux films sélectionnés en compétition officielle : The Meyerowitz Stories, de Noah Baumbach, et surtout Okja, le nouvel opus du réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho. Deux films portant l'étiquette (infamante pour certains) du spécialiste mondial de la SVOD : Netflix.

Quand Thierry Frémaux, le sélectionneur en chef du premier festival mondial, a placé en sélection officielle ces deux films, il ne se doutait pas qu'il ouvrait la boîte de Pandore. Selon ses déclarations, au moment de faire son choix, il avait encore espoir de voir ces films sortir en salles, mais face au refus de Netflix et étant donné la réglementation contraignante en vigueur en France (un délai de trente-six mois entre la sortie en salles et la diffusion sur une plate-forme de streaming de type SVOD), le sélectionneur s'est retrouvé coincé (au point d'amender le règlement du festival pour éviter tout blocage de la sorte à l'avenir).



Le cochon géant Okja tombe d'un camion avec Mija à sa suite.

Trop tard, le mal était fait. Okja est reparti de Cannes bredouille (le moindre prix aurait été très mal venu dans le contexte), le film est "sorti" sur Netflix le jour prévu (28 juin), et les rares exploitants courageux qui avaient prévu de projeter le film dans leurs salles se sont rétractés (en dehors de quelques séances dans le cadre du festival SoFilm, et du Méliès à Montreuil, dont le directeur artistique Stéphane Goudet a courageusement maintenu l'unique séance gratuite). Au final, le film a en grande partie raté son public, Netflix a sauvegardé son modèle économique, et les exploitants ont préservé leur gagne-pain grâce à la fameuse chronologie des médias à laquelle ils sont si attachés. Mais combien de temps cette situation pourra-t-elle durer ?

La stratégie des exploitants (dont la survie est liée à l'exclusivité des films qu'ils projettent) va dans le même sens que celle des distributeurs indépendants, comme le déclare Jean Labadie, dirigeant de la société Le Pacte. Tous pensent haut et fort que le cinéma se découvre d'abord sur un grand écran, et ils n'ont pas forcément tort. Tant que les films seront produits pour les salles de cinéma, les voir sur un écran de télévision ou pire sur une tablette ou un ordinateur ne rend pas justice au travail des créateurs. D'ailleurs, Bong Joon-ho l'a lui même déclaré au quotidien Le Monde : "Le meilleur moyen de voir un film, c'est sur un grand écran." Avant d'ajouter : "Mais pour ça, il faut avoir les moyens de le faire."

Certains ne manquent pas de brandir l'argument du piratage, dont le cinéma serait victime, et si le phénomène a participé à la chute de fréquentation des salles obscures dans certains pays (comme en Espagne, qui comptait 127 millions de spectateurs en 2005 contre 78 millions en 2013), il n'empêche pas des exploitants comme MK2 d'acheter des salles dans la péninsule Ibérique et d'envisager une expansion européenne. Signe de la vitalité d'un secteur encore loin d'être sinistré.




La complicité entre Mija et Okja, le coeur du film.

Pour l'instant, le grand gagnant de cette histoire reste Netflix qui a désormais trouvé la formule magique pour étendre son emprise mondiale : "des contenus locaux pour une audience globale". Un article récent du site TheWrap indique que le succès d'Okja a permis à la plate-forme d'augmenter sensiblement le nombre de ses abonnés en Corée du Sud. Nul doute qu'une histoire ancrée dans l'imaginaire asiatique, truffée de références au cinéma asiatique en général (et japonais en particulier, n'est-ce-pas Totoro ?!), plaira à un public international, avide désormais de manga et autres anime. Certes, le but est de rapporter toujours plus d'argent, mais la méthode Netflix est plus subtile.

Face à l'uniformisation du cinéma commercial hollywoodien, dont la force de frappe ne suffit pas toujours à générer des recettes mirobolantes dans le monde entier, l'industrie du cinéma a également senti le vent tourner. Mais quand Hollywood se contente d'inclure des acteurs asiatiques dans ses blockbusters à super-héros pour faciliter la pénétration du marché (en Chine notamment), Netflix va plus loin et permet à l'un des cinéastes les plus passionnants du moment de donner vie au film de ses rêves. Une carte blanche (et un droit sur le final cut) dont le réalisateur n'a pas manqué d'user en toute liberté : son film contient un fort message anti-establishment et pro-animaliste. N'y voit-on pas une Tilda Swinton en double dirigeante ridicule d'une firme calquée sur Monsanto ? Et des militants véganes faisant partie de l'ALF (Animal Liberation Front), une milice créée en 1979 en Grande-Bretagne dont le but est d'abolir tout forme d'exploitation animale et dont les actions ont parfois été taxées d'éco-terrorisme ?

Et si Netflix (et d'autres acteurs comme Amazon) continuent de rendre service aux cinéastes en leur donnant des moyens qu'ils ne trouvent plus ailleurs, ne serait-il pas logique de les en féliciter en leur donnant le droit de montrer leurs films dans de meilleures conditions ? Cette politique va-t-elle faire réagir les grands studios en leur donnant envie de renouer avec des films plus adultes et plus intelligents ? On peut toujours rêver.

Alors, de quoi l'avenir sera-t-il fait ? Difficile d'y répondre aujourd'hui. Alors autant exprimer des voeux : ne pourrait-on faire évoluer la législation pour aller vers une plus grande complémentarité entre salles de cinéma et petit écran ? Il est grand temps d'encourager les jeunes générations à découvrir leur patrimoine cinéphilique en s'adaptant justement à leur façon de consommer les images. Sans doute est-il possible de trouver un compromis pour rendre la culture plus accessible tout en préservant le pré carré des salles de cinéma. C'est dans cette direction que souhaite aller le sus-cité Stéphane Goudet dans une tribune à lire sur le site de Télérama.

Ne pourrait-on imaginer de découvrir en salles des oeuvres conçues pour le petit écran (comme ce fut déjà le cas en de rares occasions) ? Déguster les nouvelles saisons de Top of the lake (Jane Campion) ou de Twin Peaks (David Lynch) sur écran géant, avec toute une communauté de fans, cela ouvrirait des perspectives inédites ! Et permettrait de briser l'isolement de l'expérience télé.

En attendant, ceux qui aiment le cinéma n'ont jamais eu autant de façons de l'apprécier que de nos jours. Alors que les fans du grand Bong Joon-ho se réjouissent. Ils peuvent dès à présent regarder Okja dans leur salon, se délecter de l'excellent Memories of murder, repris en salles, et revoir The Host ou Mother en DVD ou SVOD. Enjoy !!




dimanche, juillet 09, 2017

Voyage of Time : l'odyssée selon Malick


Remarqué pour sa rareté à une époque, par son omniprésence aujourd'hui, Terrence Malick fait partie des derniers cinéastes vivants capables de créer l'événement avec des projets originaux et ambitieux.

Malgré ce qu'en pensent d'aucuns, pour qui la dernière période du cinéaste n'est pas digne de ce qui l'a précédée, la sortie d'un nouveau film de Terrence Malick est toujours un événement. Radical par ses choix, rare dans ses apparitions et prises de parole, le cinéaste américain âgé de 73 ans nous donne cette année deux nouveaux exemples de son effervescence créatrice.

Terrence Malick sera présent sur nos écrans en 2017 avec deux films différents, comme si le temps lui était compté, comme s'il fallait à tout prix mener à bien les projets en cours et éviter les regrets. Alors que Song to Song, filmé en partie au festival de musique d'Austin en 2012 – sur les terres du cinéaste – sort le 12 juillet, un documentaire au long cours a fait l'objet de projections uniques en France depuis le 4 mai.

Voyage of Time : Life's Journey, ode à la vie et à l'univers, aura obsédé le cinéaste pendant une quarantaine d'années. Son arrivée sur nos écrans (certes en sortie limitée et sans la version IMAX) représente donc une sorte de miracle, tant cette oeuvre restera sans doute comme une tentative unique et presque suicidaire dans l'histoire du cinéma.

Il faut en effet une bonne dose de confiance en soi pour aborder dans le format d'un long-métrage d'une heure trente rien de moins que la création de l'univers, l'apparition de la vie sur Terre, la relation entre l'homme et la nature, et l'avenir de notre espèce ! Depuis les années 80, d'autres cinéastes ont tenté à leur manière d'aborder ces thématiques. Que ce soit la magnifique trilogie de Godfrey Reggio (Koyaanisqatsi, Powaqqatsi, Naqoyqasti) ou le travail de son ancien directeur photo Ron Fricke (Baraka et Samsara), nombreuses ont été les tentatives d'utiliser les possibilités du médium cinématographique pour y parvenir.

Avec ce nouveau film, Terrence Malick place d'emblée la barre très haut. Jadis professeur de philosophie, ayant suivi des études d'astronomie et de biologie, le cinéaste a rencontré des professeurs et des chercheurs dans les domaines de la physique et de l'anthropologie pour élaborer son projet. Pour raconter à sa manière l'histoire de l'univers, en brisant les codes habituels de la narration associés à ce type de sujet, Malick a choisi en toute simplicité de montrer la beauté qui réside en toute chose. L'existence des nébuleuses, des vagues de lave, des tempêtes de météorites, la division cellulaire, la transformation des espèces, l'évolution des formes de vie : un point commun sous-tend cet ensemble, une extraordinaire beauté, une soif de vie.

Pour un artiste comme Malick, comme pour un peintre ou un musicien, le but est de faire affleurer la beauté qu'il perçoit. Le cinéaste a donc fait appel à toute la palette de son art : prises de vues réelles, images de synthèse, expérimentations graphiques, images "volées" au camescope... Cette hétérogénéité est à la base même du film, et c'est ce qui lui donne sa richesse.

Un des outils à la disposition du cinéaste est la voix off. Malick l'a toujours utilisée à sa manière, sans chercher une adéquation systématique entre l'image et le commentaire. Dans Voyage of Time, la voix de Cate Blanchett nous prend à témoin, nous embarque dans un monologue adressé à la création, à Mère nature, ou à un Dieu irrémédiablement absent. Quelle meilleure façon d'aborder ces questions existentielles que par le biais d'une forme poétique qui nous pousse à nous interroger sur le sens de notre vie ?

La force du film réside aussi dans le fait qu'il ne fait pas de choix entre la beauté des images, la poésie qui s'en dégage, et la rigueur scientifique qui a caractérisé sa production. Malick a notamment fait appel à Andrew Knoll, professeur d'histoire naturelle à Harvard, consultant pour la NASA, et auteur de plusieurs ouvrages sur l'évolution de la vie sur Terre. Son rôle a été de faire en sorte qu'une chronologie de l'évolution de la vie, d'une grande précision scientifique, sous-tende les images du film.

En alternant des scènes contemporaines et l'évolution de l'histoire de l'univers, Malick suggère le fait que nous sommes le résultat d'une longue séquence qui nous dépasse totalement, mais qu'en même temps, nous sommes le résultat de nos choix au quotidien. La façon dont l'héréditaire, le hasard, et la force de notre détermination se mélangent pour aboutir à ce que nous sommes est parfaitement suggéré par la mise en scène. Un constat qui tendrait d'ailleurs à battre en brèche l'existentialisme tel que théorisé par Sartre pour qui chaque personne est maîtresse de ses actes.

A part dans l'oeuvre de Malick et en même temps dans son prolongement logique – Tree of Life contenait déjà une séquence stupéfiante montrant un dinosaure – Voyage of Time est sans doute le film le plus kubrickien de son auteur. Les points communs entre les deux cinéastes ne manquent pas. Tous les deux savants, exigeants au plus haut point sur la véracité des mondes auxquels ils donnent vie (sans parler d'une allergie commune aux affres de la vie médiatique), Malick et Kubrick ont chacun eu des ambitions philosophiques. Avec 2001, A Space Odyssey, Kubrick questionnait la nature de l'Homme alors qu'il découvre son destin en maniant un simple bout de bois. Malick, dans son "documentaire", montre aussi des femmes et hommes préhistoriques. Dans une séquence saisissante, l'un d'entre eux regarde son reflet dans un cours d'eau et plonge ainsi son regard dans celui du spectateur. Serait-ce le moment où il acquiert une conscience de soi qui lui faisait jusque-là défaut ? Quelles questions l'assaillent-ils alors qu'il voit peut-être pour la première fois la forme de son propre visage, l'expression de son regard ? Comme chez Kubrick, l'évolution passe par la réalisation d'une capacité, la découverte d'une forme de puissance.

Pour les deux cinéastes, poser des questions est plus important que d'imposer des réponses. Chacun montre l'Homme dans sa grande complexité, sa bêtise, sa grandeur, ses limites, et ses rêves. Mais chez Malick existe sans doute une nostalgie pour une certaine forme d'innocence, comme si le fait de perdre le pouvoir de s'étonner de la beauté du monde était criminel.

Dans Voyage of Time transparaît cette confiance envers le lien qui nous retient au monde, l'émerveillement que l'auteur ressent face à la beauté sans limite de notre univers. L'émotion qui se dégage de cette expérience est d'autant plus forte que nous spectateurs sommes devenus acteurs dans le processus. Là réside l'essence du film, dans le consentement tacite que le cinéaste propose à ceux qui auront eu la chance de s'embarquer avec lui dans un voyage au-delà du temps et de l'espace, et si près de nous pourtant.