mercredi, décembre 22, 2010

La liberté mais pas la vérité



Isabelle Giordano a encore raté une occasion de se taire lors de l'avant-première à la Cinémathèque Française du nouveau film de Peter Weir le 13 décembre dernier (où le cinéaste australien a reçu l'insigne d'officier des arts et des lettres des mains de Frédéric Mitterrand). Embauchée pour présenter la soirée, la journaliste a fait une tirade sur les films basés sur des histoires vraies, qui apportent soi-disant un supplément d'âme... Un cliché qui ne s'applique pas du tout à ce film. Mais pour le savoir, encore aurait-il fallu s'informer un minimum sur le sujet en question (ce qu'elle n'avait visiblement pas fait).

Les Chemins de la liberté (The Way Back), compte l'histoire de l'évasion d'un groupe de prisonniers d'un camp au cœur de la Sibérie en 1941. Après un périple de plusieurs milliers de kilomètres à pied, ils atteignent la Mongolie et au-delà, traversant des déserts puis la chaîne de l'Himalaya, trouvent refuge en Inde. Le film est inspiré d'un livre à succès sorti en 1956, écrit par Slamovir Rawicz et intitulé A marche forcée. Présenté comme un récit autobiographique et traduit dans 30 langues, le livre serait en réalité un roman entièrement inventé, ainsi que l'ont montré de nombreuses recherches, dont un documentaire de la BBC. Slamovir Rawicz fut bien un soldat polonais arrêté, torturé puis déporté par les Russes. Mais il ne s'est pas évadé. Il a été amnistié. De nombreux doutes planent sur la véracité de ce récit, et on est donc bien loin d'une "histoire vraie".

Quand au film de Peter Weir, il sortira en France le 26 janvier 2011, avec dans les rôles principaux, Colin Farrell, Ed Harris, Jim Sturgess et Saoirse Ronan. Récit d'aventure d'une bonne tenue, le film souffre toutefois d'une mise en image trop conventionnelle et on peine à y trouver la patte d'un réalisateur dont certains films ont marqué comme Picnic at Hanging Rock ou The Truman Show.

jeudi, juillet 29, 2010

Du Silence et des ombres




Deux figurines en savon représentant une petite fille et un petit garçon, une vieille montre qui fonctionne toujours, des gouaches, des pièces de monnaie, des billes, un sifflet, autant d'objets sortis d'une boîte en bois. Des enfants qui dessinent un oiseau. Une page qui se déchire. C'est le magnifique générique d'ouverture du film de Robert Mulligan, peut-être son plus grand, To Kill A Mockingbird, chez nous, Du silence et des ombres.

A cette époque (1962) où il y avait encore des génériques d'ouverture, dans le meilleur des cas, ils remplissaient une double fonction : donner le titre du film ainsi que le nom des interprètes et des techniciens, mais aussi et surtout, révéler d'emblée le cœur du film : son thème, son enjeu, son âme.

Stephen Frankfurt, crédité pour ce merveilleux générique, a su capter l'essence du film à la perfection. Quand le dessin de l'oiseau est déchiré, c'est l'innocence de l'enfance qui se trouve menacée, un danger encore inconnu qui rôde, une violence contenue mais bien réelle qui pointe. Ce n'est qu'à la toute fin du film que l'on peut comprendre réellement cette séquence de moins de trois minutes.

Si ce film est devenu l'objet d'un culte aux Etats-Unis, s'il est montré dans les écoles, si toutes sortes de personnalités le citent comme source d'influence, ce n'est bien entendu pas uniquement à cause de son générique. Alors, on pourra citer un excellent roman de Harper Lee ayant servi de base pour le scénario d'Horton Foote, une prestation inoubliable de Gregory Peck dans le rôle d'Atticus Finch (qui sera récompensé par l'Oscar), des enfants d'une rare justesse, et une partition d'une rare beauté d'Elmer Bernstein.

Cela fait beaucoup pour un seul film, mais à la réflexion, c'est bien de ça dont sont faits les chefs d'œuvres.

dimanche, juin 20, 2010

Robert Mulligan : un cinéaste avec du coeur



Il est parfois difficile de reconnaitre la patte d'un cinéaste. D'abord parce qu'ils ne sont pas tous des auteurs. Loin s'en faut. Ce serait plutôt même l'exception. Parfois, le style n'est pas suffisamment marqué (tout le monde n'est pas Bresson), parfois les thèmes abordés sont trop différents les uns des autres. Souvent, les films manquent d'intérêt et on ne prend même pas la peine de chercher un semblant de cohérence. Alors, que penser d'un cinéaste comme Robert Mulligan ? Son absence de style visuel le conduit au contraire à s'adapter à chaque genre et à le dynamiter de l'intérieur. Avec près de 20 films disséminés sur quarante ans de carrière, l'œuvre de Mulligan a abordé des genres très différents : western, fantastique, chronique sociale, comédie. Grâce à une rétrospective de la Cinémathèque Française, nous avons l'occasion de redécouvrir l'œuvre de ce cinéaste méconnu.

Si certains de ses films sont mondialement connus (Un été 42, Du silence et des ombres, L'Autre), d'autres sont tombés dans l'oubli. Les découvrir dans le désordre permet justement de dégager des points communs et de faire des constatations. Loin d'avoir la prétention de me substituer à Jean-Pierre Berthomé, l'éminent critique et historien du cinéma dont la conférence d'introduction au travail du cinéaste américain était tout à fait passionnante et éclairante, revenons brièvement sur un film de la dernière période. Si on a dit que Mulligan était attiré par le monde de l'enfance, par la mort, qu'il était un grand directeur d'acteur, ou qu'il avait le don pour s'entourer des meilleurs musiciens, la vision de Clara's Heart (Le secret de Clara, 1988) permet de mettre au jour une de ses grandes qualités : son humanisme.

Avant dernier film de Mulligan, Clara's Heart est une histoire de reconstruction. Une mère ayant perdu son bébé s'exile en Jamaïque et rencontre une femme de chambre qui la tire de sa dépression. L'entente est si forte que la mère la ramène à la maison pour s'occuper de son ado, qui la rejette au premier abord. Une belle amitié va se lier progressivement entre ces deux êtres en souffrance, fortifiée par l'environnement parental en pleine explosion. Mais la femme de chambre porte en elle un lourd secret et tente de se reconstruire également.

Seulement quelques années après son rôle marquant dans La Couleur pourpre, Whoopi Goldberg donne au personnage de la femme de chambre une intensité toute de retenue et de nuances, tandis que le jeune homme est joué avec brio par Neil Patrick Harris, dont c'est le premier rôle. Toujours sur le fil du rasoir, évitant de tomber dans le mélo ou la sensiblerie, Mulligan aborde ici un sujet rarement évoqué au cinéma, une amitié improbable et salvatrice, de celles qui façonnent des vies et permettent de surmonter l'horreur. Conteur des subtilités du cœur de l'homme et de la femme, Mulligan aime ses personnages et cela se voit. Il n'a pas besoin d'avoir recours à des artifices de mise en scène. Sa façon de les montrer simplement et d'une façon juste, sans aucune distanciation, les rend d'autant plus bouleversants. Au risque de froisser certains spectateurs, trop habitués au cynisme dominant et triomphant de notre époque.

vendredi, avril 30, 2010

Les vieilles stars du cinéma de retour à Hollywood




Des classiques du cinéma sur grand écran en plein centre d'Hollywood ? C'était l'événement de la semaine passée à Los Angeles, lors de la toute première édition du TCM Classic Film Festival. Du 22 au 25 avril, une large sélection de longs et courts métrages étaient présentés en plein centre de la Mecque du cinéma américain. Avec des invités de prestige (Martin Landau, Tony Curtis, Eva Marie Saint, Ernest Borgnine, Anjelica Huston,...) et des projections de films restaurés dans de belles copies, c'était une occasion unique de redécouvrir des œuvres mythiques. Et pour cela le mythe était au rendez-vous : 2001, l'odyssée de l'espace, Le Bon, la brute et le truand, Une étoile est née, La Mort aux trousses, Sunset Boulevard, et beaucoup d'autres chef d'œuvres étaient présentés.



Avec des salles pleines et une nouvelle édition d'ores et déjà annoncée pour l'année prochaine, le succès était au rendez-vous. Ce qui peut paraître surprenant, quand on sait que la plupart de ces films sont disponibles en DVD et ont déjà été vus et revus. Ce qui a attiré les foules était bien évidemment la perspective de voir ces classiques sur grand écran et avec un public enthousiaste et passionné. Ici, pas de sonnerie de portable ou de voisin bavard. Une même passion pour le cinéma. Et surtout la possibilité d'assister à des discussions, avant ou après les films, avec des acteurs, réalisateurs ou autres intervenants de prestige, qui venaient raconter avec des anecdotes parfois croustillantes, comment ces films ont été faits.


Martin Landau, Anjelica Huston, Ben Mankiewicz au festival TCM 2010 (crédit photo : Mark Hill, TCM)

Ce fut notamment l'occasion d'une discussion entre Martin Landau et Eva Marie Saint, juste avant la projection de La Mort aux trousses, d'Alfred Hitchcock, ainsi qu'une rencontre avec le spécialiste des effets spéciaux Douglas Trumbull, qui venait parler du 2001 de Kubrick, pour qui il a conçu la fameuse StarGate sequence. Il en a profité pour donner son avis sur la mode actuelle de la 3D* et parler de son travail actuel avec Terrence Malick.



A signaler aussi une projection de Péché mortel (Leave her to heaven, 1945), magnifique polar en couleurs de John M. Stahl, dans lequel Gene Tierney campe avec maestria une séduisante déséquilibrée. Darryl Hickman, l'acteur qui jouait le jeune garçon dont le personnage de Tierney souhaite vivement se débarrasser pour être seule avec son amoureux, était présent à l'issue de la séance. Il raconta que l'actrice restait dans son personnage y compris en dehors du tournage et qu'elle n'avait pas été très agréable avec lui (il avait 13 ans à l'époque). Il sortit de la fameuse séquence de baignade dans le lac, dont l'eau était glaciale, avec une pneumonie. Il parla aussi du sort réservé aux enfants acteurs, et de la force de caractère qu'il leur fallait pour résister aux pressions énormes qui s'abattaient sur leurs frêles épaules. Il annonça avec humour le montant colossal englouti dans la psychanalyse qu'il avait dû entreprendre...


Samedi soir, la grande salle du Grauman's Chinese Theater (1100 places) était envahie par les fans nostalgiques de la grande époque de John Travolta, pour une projection animée de La fièvre du samedi soir (John Badham, 1977). Le réalisateur donna quelques éléments clés quant à la fabrication du film, qui demanda beaucoup de travail pour les séquences dans le night-club, et dont le succès étonna complètement le studio qui l'avait produit. Le reste fait partie de la légende.



Enfin, dernier jour dimanche, et conclusion en apothéose avec l'avant-première nord-américaine de la nouvelle édition de Metropolis (Fritz Lang, 1927). Le film, projeté en numérique, était accompagné d'une partition originale du Alloy Orchestra, groupe spécialisé dans l'accompagnement des films muets, dont les percussions se mariaient à ravir avec les images en noir et blanc de cette œuvre séminale du cinéma allemand. Les précieuses minutes supplémentaires retrouvées récemment en Argentine donnent une nouvelle richesse au film. Si Metropolis a tant influencé l'histoire du cinéma, c'est bien sûr à cause de ses décors futuristes, ses personnages hors du commun (la femme-robot), mais aussi pour le jeu de Brigitte Helm, qui passe d'un personnage à l'autre avec une aisance stupéfiante.

Une telle initiative, venant d'une chaîne câblée américaine, donne confiance quant à l'avenir du cinéma et si la moyenne d'âge des intervenants dépassait largement la cinquantaine, le public, lui, était de tous âges. Espérons que les rumeurs actuelles d'une édition parisienne de la manifestation soient fondées.

Jean-Christophe Manuceau

* signalons au passage un passionnant article de Roger Ebert sur la 3D, intitulé Why I Hate 3-D (And You Should Too), merci Christophe !

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mercredi, mars 10, 2010

Agostino ou l'impossible amour




Un jeune garçon de 13 ans, pas encore adolescent. Sa mère, riche et très belle femme qui le câline et le cajole à longueur de journée. Venise, l'été. Noir et blanc. Un homme arrive et charme la mère. Le garçon se sent rejeté. Il rencontre au cours d'interminables après-midi un groupe de jeunes voyous dont le manque d'éducation va justement faire la sienne. Il sera question de sexualité et d'une découverte qui aboutira en fin de parcours à une demande.

Agostino*,
de Mauro Bolognini, date de 1962. Fort d'une carrière riche et trop méconnue, le réalisateur sortait à l'époque d'une collaboration avec Pasolini, et on peut sentir l'influence du poète italien sur ce film d'une rare beauté.

Ingrid Thulin rayonne dans le rôle d'une mère trop proche de son fils, et qui s'accroche à son petit homme, ou plutôt à l'idée qu'elle se fait de lui. Paolo Colombo, dans son unique rôle, fait preuve d'une grande subtilité. Son jeu est naturel et riche. Sans dialogue, il communique les affres de sa conscience. Rarement le passage à l'âge adulte d'un jeune garçon aura donné l'occasion d'un portrait aussi touchant.

Cette demande, qu'Agostino formule à la toute fin du film, est belle et simple. "Traites-moi comme un adulte", demande-t-il à sa mère. Le visage résigné de cette dernière en dit long sur le chemin qu'elle aussi a parcouru en l'espace de quelques jours d'été. Entre temps, Agostino a appris la réalité de l'amour physique (sans toutefois la connaître) et a perdu son innocence.

A la toute fin du film, alors que la voix off nous annonce qu'Agostino aura encore des épreuves difficiles à passer, on sait que sa vision des femmes sera marquée à jamais par cette mère si belle et si tendre. Proche et inaccessible.

* la magnifique partition du film est signée Carlo Rustichelli.