
Parler de déception serait un euphémisme en ce qui concerne cette nouvelle adaptation du roman fondateur de Richard Matheson. Si le terme de dégoût peut sembler extrême, il est plus proche du ressenti à la sortie de la salle. Il est vrai que l'attente était forte, non pas tant pour le choix du réalisateur Francis Lawrence (son
Constantine m'ayant échappé), mais dans le doute, on pouvait laisser une chance à ce jeune réalisateur venant de la pub et du vidéoclip. Non, ce qui faisait croire à ce projet, c'était tout d'abord le choix du titre, revenant à celui du roman d'origine, contrairement aux deux précédentes adaptations et laissant supposer une plus grande fidélité. Puis, le potentiel technologique du cinéma d'aujourd'hui sur lequel on pouvait raisonnablement compter pour faire mieux que
The Last Man On Earth (1964) et
The Omega Man (1971). Surtout, c'était le constat incroyablement juste et terrible que Matheson dressait d'une humanité décimée, réduite à l'état de morts-vivants, et qu'un simple citoyen appelé Robert Neville passe ses journées à éradiquer machinalement. L'homme est isolé, doit se défendre et lutter contre les attaques de son ancien meilleur ami devenu vampire, tout en cherchant à comprendre ce qui s'est passé. Si l'allégorie était pertinente en 1954, date de publication de
I Am Legend, elle l'est tout autant en 2008, quand la race humaine se donne de plus en plus les moyens de s'autodétruire à petit feu. Adapter le roman aujourd'hui, c'était l'occasion de tendre un miroir à notre société contemporaine et lui rappeler que la race humaine n'est pas éternelle.
C'était aussi l'occasion rêvée de déconstruire le mythe du vampire, en cherchant des explications rationnelles à des phénomènes que la science moderne a le potentiel d'expliquer dans le cadre d'une oeuvre fantastique.
Si le film fait illusion dans sa première heure, surtout grâce à la description particulièrement détaillée d'un New York d'apocalypse, il perd complètement de sa consistance par la suite pour conclure sur un happy end improbable. Le choix de New York, alors que l'action se situait à l'origine dans la région de Los Angeles, laisse entrevoir l'impact des évènements de 2001, et le poids que ces images traumatisantes font toujours peser sur la psyché américaine. La scène d'évacuation sur le port suivie de la destruction du Brooklyn Bridge a coûté pour elle seule cinq million de dollars pour six nuits consécutives de tournage. Si elle n'apporte pas grand chose au développement de la narration, à part fournir d'alibi pour une scène de séparation filiale larmoyante (que l'on voit deux fois), preuve est faite que ces scènes de panique et de chaos fascinent toujours et que si la réalité a rattrapé la fiction en 2001, le cinéma hollywoodien trouve toujours de nouvelles façons de présenter ces images cathartiques.
Le roman ne se privait pas non plus d'exploiter la mémoire collective, en l'occurence celle de la Shoah, dans des scènes de destruction massive très dérangeantes. Or, ce sont tous les aspects gênants du livre (l'attraction sexuelle éprouvée par Neville pour les femmes vampires, son caractère résolument commun, ses phases dépressives le conduisant vers l'alcool et la folie, l'arbitraire du meurtre) qui ont été gommés pour laisser place à un héros, certes seul avec son chien, mais tout de même scientifique et soldat (et pourquoi pas saint ?!). Le choix d'un acteur afro-américain était bien vu, mais tous les efforts de Will Smith ne suffisent pas. Pour ne rien arranger, certaines rumeurs font état de changements de dernière minute imposés au réalisateur, dont on ne peut croire qu'il ait eu le final cut.
Une version longue en DVD viendra-t-elle changer notre appréciation ? Réponse dans quatre mois.
En attendant et quitte à privilégier une des adaptations cinématographiques, allez jeter un oeil sur la première, celle avec le grand Vincent Price, en noir et blanc :
The Last Man On Earth. Si la copie présente quelques défauts et n'est pas sous-titré, le film est visible gratuitement. Les plus fortunés le trouveront en
DVD, couplé avec un autre grand film sur l'apocalypse,
Panic In Year Zero (1962).
The Last Man On Earth a le mérite de respecter l'esprit du livre, même s'il ne le suit pas à la lettre. Après tout, on peut se demander quel est l'intérêt d'adapter un roman si ce n'est pas pour en garder les grandes idées. C'est le cas de cette version américano-italienne, faite avec un budget réduit mais une passion visible à chaque plan. Car finalement,
I Am Legend est un grand roman sur l'isolement et la solitude humaine. Et cela, rien de mieux pour l'éprouver qu'une lecture forcément solitaire, en tête à tête avec soi-même.