dimanche, mai 08, 2011
TCM Classic Film Festival : le retour du refoulé
Los Angeles, fin avril 2011. L'impossible a eu lieu et cela, pour la deuxième année consécutive. Des vieux films, parfois oubliés, projetés sur écrans géants dans des palaces du cinéma, avec des copies restaurées, et en présence d'acteurs, réalisateurs, collaborateurs... On a beau se pincer, non, c'est bien vrai. Dieu sait pourtant que ce n'est pas trop la tendance du moment, surtout aux Etats-Unis, pays où les chaînes de produits culturels ferment les unes après les autres (le libraire Borders ferme plus d'un tiers de ses magasins). Entre une industrie cinématographique qui cherche à tout prix un nouveau modèle économique en misant sur la VOD (à tel point qu'un groupement de cinéastes s'est constitué pour adresser un courrier de protestation aux studios), et un public jeune qui délaisse le cinéma en salles pour s'adonner au téléchargement à gogo, quelle place reste-t-il pour l'héritage cinématographique universel ?
Le TCM Classic Film Festival, organisé par la chaîne du câble TCM, apporte une réponse éclatante, en mettant dans le feu des projecteurs le cinéma d'hier, sans effets spéciaux, ni 3D, en couleurs ou en N&B, parlant ou muet, mais toujours fabuleusement passionnant et actuel. Si la première édition du festival s'était penchée sur la naissance d'Hollywood, le thème retenu cette année était la comédie musicale et la musique de film. Belle occasion de rendre hommage à la musique fabuleuse de George et Ira Gershwin, avec la projection en soirée d'ouverture du chef d’œuvre de Vincente Minnelli, An American in Paris (1951).
En présence de sa fille Dorothy Herrmann, un autre hommage a été rendu au plus aventureux des compositeurs de musique de film hollywoodien, Bernard Herrmann, avec les projections de son premier film, Citizen Kane (1941), de son dernier Taxi Driver (1976) et de quelques autres, dont celui que le maître en personne préférait parmi tous : The Ghost and Mrs. Muir (1947).
Crédit photo : Jordan Strauss – © 2011 WireImage
Parmi les vétérans invités, deux géants du cinéma, toujours actifs malgré leur grand âge. Le premier, Kirk Douglas, 94 ans au compteur, fait preuve d'une vitalité à toute épreuve, malgré l'attaque dont il a été victime et qui l'a laissé avec une perte d'élocution dont il a su prendre le dessus ("Pour un gars qui a perdu la voix, je trouve que je parle beaucoup !", dira-t-il lors de la présentation du film de Stanley Kubrick Spartacus (1960)). Une carrière impressionnante et beaucoup d'humour pour ce fils de chiffonnier qui en a profité pour présenter un extrait de son récent one-man show où il discute avec lui-même trente ans plus tôt. Quant à savoir quel film il préfère dans sa carrière, il a cité Lonely Are The Brave, un western de 1962 avec Gena Rowlands, sorti en France sous le titre Seuls sont les indomptés.
Crédit photo : TCM
Jeune homme de 78 ans toujours élégant, Peter O'Toole a gravé pour l'éternité ses empreintes dans le ciment du Grauman's Chinese Theatre le samedi 30 avril, alors que retentissait le thème inoubliable de Lawrence of Arabia (1962). Les organisateurs lui ayant donné l'occasion de choisir un de ses films, c'est Becket (1964) qui a eu ses faveurs, magnifique drame historique réalisé par Peter Glenville, dans lequel il donne la réplique à un autre monstre sacré, Richard Burton. Complètement méconnu en France, ce film situé au XIIe siècle en Angleterre conte les rapports conflictuels entre la monarchie et le clergé. Lorsque l'archevêque de Canterbury meurt, le roi Henri II pense adoucir la situation en nommant son ami Thomas Becket pour reprendre la charge cléricale. Mais ce dernier, fidèle compagnon du roi jusqu'alors, se sent soudain investi par toutes les tâches qui lui incombent. Une opposition féroce voit donc le jour entre les deux hommes. Un grand film nominé à l'époque pour 12 Oscars à redécouvrir d'urgence en DVD, en attendant mieux.
Le cinéma muet n'était pas oublié avec la projection de The Cameraman (1928), excellent film de Buster Keaton, projeté avec un orchestre live. Kevin Brownlow, cinéaste et historien du cinéma, récipiendaire d'un Oscar d'honneur cette année, est revenu lors d'une conférence sur son combat pour sauver le patrimoine du cinéma muet.
Enfin, dans une programmation de trois jours très dense, il était parfois difficile de faire un choix entre des séances qui se chevauchaient. Des hommages à des figures disparues dans l'année ont été donnés : Sidney Lumet a été célébré avec la projo de Network (1976), sa satire du milieu de la télévision, description étonnamment juste des dérives de "l'infotainment", mariage contre nature de l'information et du spectacle dans lequel nous sommes toujours englués plus de trente ans après.
Crédit photo : TCM
Les 1.100 spectateurs du Grauman's Chinese étaient debout pour applaudir Julie Andrews, venue présenter le joyau de son ex-mari décédé le 15 décembre 2010, Breakfast at Tiffany's (1961). A cette occasion, elle en a profité pour répondre à la question que chaque cinéphile s'est posé au moins une fois dans sa vie : comment est-ce que c'est de jouer sous la direction de l'homme avec qui on couche ? A quoi elle a répondu : "Un jour, je tournai une scène d'amour, il est venu me voir et il m'a chuchoté à l'oreille : chérie, je sais que tu peux faire mieux !". De nombreux extraits des films de Blake Edwards ont été projetés pour rendre hommage à ce grand cinéaste, initiative à laquelle la Cinémathèque Française pourrait faire écho lors de sa prochaine saison.
Crédit photo : TCM
Enfin, le festival s'est achevé dimanche soir par deux événements entre lesquels il fallait choisir : Fantasia (1940) et West Side Story (1961). N'étant pas un grand fan de Walt Disney, le film de Jerome Robbins et Robert Wise a eu ma préférence. D'autant que le revoir dans le plus vieux des palaces cinématographiques hollywoodien, le Grauman's Egyptian Theatre, dans une copie 70 mm, et avec une présentation qui réunissait George Chakiris (Bernardo), Walter Mirisch (producteur) et Marni Nixon (Maria), ne se refuse pas. Marni Nixon (photo ci-dessus) a passé une bonne partie de sa carrière dans l'ombre et il était largement temps que son travail soit reconnu. C'est en effet elle qui a doublé la voix de Nathalie Wood pour les chansons de West Side Story, mais aussi Audrey Hepburn dans My Fair Lady (1964) et Deborah Kerr dans The King And I (1956). Lors d'une conférence tenue plus tôt, elle avait raconté que les studios de l'époque exigeaient que cette pratique soit tenue secrète, au point de la menacer de ne plus bosser dans l'industrie si elle révélait le pot aux roses !
Bref, une très bonne édition, dont le succès était probant vu les files d'attente (le public était deux fois plus nombreux que l'année dernière). A tel point que le festival est déjà reconduit pour l'année prochaine. Rendez-vous à Hollywood en 2012 et encore merci à TCM d'entretenir la flamme !
Le TCM Classic Film Festival a eu lieu à Los Angeles du 28 avril au 1er mai 2011.
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