jeudi, juillet 04, 2013
Le joli mai : un voyage dans le temps avec Chris Marker
Si la musique légère et élégante de Michel Legrand vient irradier les images noir et blanc du Joli mai, nul besoin de ce prétexte pour se pencher ici sur ce film signé Chris Marker et Pierre Lhomme.
La récente exhumation cannoise de ce documentaire poétique, social, politique, sorti en France en 1963, a permis de rendre un hommage tardif (après celui de la Cinémathèque Française) à Chris Marker, décédé le 29 juillet 2012, à l'âge de 91 ans.
Film rare, indisponible en vidéo (comme la plupart des films de Chris Marker), Le Joli mai propose un voyage temporel, à la manière du magnifique La Jetée (1962). En remontant cinquante ans en arrière, la voix d'Yves Montand nous entraîne dans un portrait de Paris et de ses habitants.
Tout commence par un très beau plan de l'ombre de la tour Eiffel sur le pont d'Iena, suivi par quelques perspectives de la capitale, mais très vite, le film descend dans les rues et part à la rencontre des Parisiens. Il ne les quittera plus pendant 02h16.
A une époque où la vie des gens ordinaires ne semble plus passionner personne, il est intéressant de voir à quel point la démarche des cinéastes était pertinente. En se penchant sur les désirs et les rêves de ce jeune couple (lui soldat, elle bientôt mère au foyer), de ce marchand de costumes focalisé sur son chiffre d'affaires, de ces deux architectes idéalistes, de ce jeune arabe victime d'abus policiers, et de beaucoup d'autres, Marker et son chef opérateur Pierre Lhomme brossent un portrait intime des habitants de la capitale, au plus près de leur vie de tous les jours. En se focalisant sur le particulier, ils touchent à l'universel - la formule est connue - mais elle fonctionne ici à plein. L'aspiration au bonheur, s'occuper de ses enfants, partir en vacances, l'ambition professionnelle, autant de préoccupations profondes qui traversent le temps, bien loin de l'anecdote ou du superficiel.
Dans une note d'intention rédigée en 1961, Marker écrivait : «Que repêchera-t-on de nos années à nous ? Peut-être tout autre chose que ce que nous y voyons de plus voyant.» C'est exactement ce qui se passe dans Le Joli mai.
Dans des décors de bidonvilles de banlieue ou d'immeubles haussmaniens noirs de crasse, le contexte de l'époque est agité, en pleine fin de la guerre d'Algérie. Dans un contexte de contrôle de l'information par l'Etat, les Parisiens semblent se désintéresser de la question algérienne et bottent en touche quand la caméra et le micro les sortent de l'anonymat. Le ras-le-bol vis-à-vis de la politique en général affleure à plusieurs reprises. On assiste aux manifestations suite aux événements du métro Charonne, à des mouvements sociaux. On écoute le discours d'un militant communiste, ou une discussion à bâtons rompus de trois soeurs.
Le regard est toujours juste, l'humour se mêle au drame, l'ironie laisse place à la tendresse. On n'est pas prêts d'oublier cette araignée qui se promène sur le costume de l'inventeur sans qu'il s'en aperçoive ou ces plans de chats moqueurs, l'animal fétiche de Marker.
Plus qu'un témoignage sur une époque révolue, Le Joli mai transcende son sujet pour constituer une mini Comédie humaine, où chaque sujet a la même importance et où la trivialité fait place à la vie. C'est ce regard de poète, attentif aux autres, qui faisait la particularité du cinéma de Chris Marker. Il nous manque beaucoup.
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